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Zao, dans son évolution artistique, aura toujours gardé les mêmes préoccupations : l’alliage de l’espace et du temps, l’importance de la matière et les enjeux de non figuration. Sa peinture est un mélange de différentes influences, qui auront plus ou moins pesées en fonction de la période. Dans les années 50, l’influence de Paul Klee prédomine, mais dans les années 60 il renoue avec des éléments expressionnistes de la calligraphie chinoise traditionnelle sans être figuratif, et en étant fortement influencé par l’abstraction lyrique des peintres Américains. A la fin des années 70 il se lance dans l’étude de la « présence et de l’absence réunies dans une belle image », avec des polyptyques majestueux.
Evolution au fil des années
Les débuts
Si Zao Wou-ki peignait encore de manière figurative dans les années 40, son apprentissage du vocabulaire plastique européen, notamment celui de Cézane, le fait durablement évoluer. C’est aussi à Paris que Zao rencontre la technique de la lithographie (impression à l’aide d’une presse un écrit, un dessin, tracé à l’encre grasse, au crayon gras sur une pierre calcaire). Cette technique, et sa première expérience mènera à sa rencontre – d’abord artistique – avec Henri Michaux. (voir Son entourage). Les estampes, lithographies et gravures sont importantes pour Zao, qui ne veut plus faire d’encre chinoises, qu’il rattache à des « chinoiseries ». Peintre résolument moderne, il ne veut pas être rabattu à une vision trop étroite de son art.
Après avoir rencontré l’œuvre de Paul Klee, Zao est profondément marqué et son art se détourne un instant de l’héritage technique chinois pour la création d’une écriture imaginaire lui permettant alors de s’extraire de la stricte figuration. L’influence de Klee le fait chercher à rencontrer l’essence de la matière (voir tableau en haut, Femme et ses compagnons, 1951).
Cependant les problématiques qu’affronte Zao dans ses recherches sont en lien avec la vision chinoise de la peinture, et de cette recherche de l’équilibre entre l’absence et la présence, là où la tradition chinoise laisse plus d’espace, plus de vides, que les paysages européens.
Le tournant : Voyage aux Etats Unis
Son voyage aux états Unis marque le passage sans retour vers une peinture pleinement abstraite, mais aussi magistrale. Il commence des recherches sur des grands tableaux horizontaux qui étirent la vision et la font perdurer sans l’espace et dans le temps. Zao reste fidèle avec les préceptes de la peinture Chinoise, de « fusionner » avec la nature et non de se limiter à la raconter. Il ne cherche pas à représenter quelque chose en particulier sinon permettre à chacun de s’identifier et de se retrouver dans une abstraction invoquant nos paysages intérieurs… Zao peint également de nombreuses aquarelles, de format 56×76, qui lui permettent d’avoir une composition ample. L’aquarelle, utilisée alors de la même manière que l’huile sur toile, traduit sur papier des recherches spatiales et picturales similaires.
« Les grandes surfaces me demandaient de me battre avec l’espace ; je devais impérativement remplir cette surface, la faire vivre et me donner à elle »
Redécouverte de l’encre de Chine et célébrité
Vers 1970, Zao Wou-Ki est contraint de réduire la pratique de l’huile sur toile suite aux problèmes de santé de sa femme May. Sur les conseils de son grand ami Henri Michaux, il redécouvre l’encre de Chine, médium de prédilection de la tradition chinoise, qu’il maîtrise depuis son plus jeune âge. À son arrivée à Paris, il l’avait volontairement marginalisée de peur de produire ce qu’il appelle des « chinoiseries ». L’aquarelle avait alors été un dérivatif. La réapparition de l’encre de Chine dans son œuvre amène une réflexion différente sur la spatialité, la place du vide, l’équilibre des masses. À l’opposé de nombreux artistes tentés, durant les années 1950, par l’imitation de la calligraphie orientale, Zao Wou-Ki a déconstruit l’écriture chinoise en traçant des « signes » sans signification. Ce n’est qu’au début des années 1970 qu’il reprend enfin possession de l’héritage de la peinture et de l’esthétique chinoises, modifiant sa pratique de la peinture à l’huile qui, dès lors, s’allège, se dilue sous l’effet des recherches de lavis colorés. (Extraits de Yan Hendgen, source Centre Pompidou).
Ces années là marquent une peinture plus libérée que jamais. Les contours deviennent flous, renforçant une plongée dans un espace-temps non délimité, abstrait. Prennent corps alors l’union entre présence et absence, qui a toujours structuré ou recherché avec son travail abstrait.
« De nombreux endroits de mes peintures semblent très vides, mais il est plus facile d’ajouter des lavis à l’encre qu’à la peinture à l’huile, et je travaille donc davantage sur les espaces vides que sur les espaces remplis. Dans la peinture chinoise, les rythmes formés par la présence et l’absence, ainsi que le mouvement constant qui se crée lorsque l’une entraîne l’autre, ont transformé les zones de légèreté et de lourdeur de la peinture en points d’intérêt. »
Dans les tableaux qui ont fait suite au renouveau de l’encre de chine, on peut notamment citer Hommage à Claude Monet, réalisé en 1991, où l’espace représenté, bien que faisant écho à Etretat, fait d’abord penser à des compositions oniriques.
Une richesse d’expression plastique
Pour Zao Wou-ki, il n’y avait pas de hiérarchie claire entre les différentes formes d’expressions artistiques. S’il est surtout connu pour ses grandes toiles à la peinture à l’huile, il a également réalisé de nombreuses gravures, estampes, illustrations ou encore des vases et des céramiques et bien sûr ses encres de Chine. Partie intégrante de son art, ses formats plus petits, avec des techniques différentes, lui ont permis de poursuivre ses recherches et enrichir sa palette graphique.
Avec les lithographies et les estampes on remarque que « son exigence était aussi pointue dans sa pratique de l’estampe que dans celle de la peinture. Quand on voit une planche, on n’imagine pas tout ce travail. Sa gamme colorée est extrêmement variée d’une œuvre à une autre, d’une époque à une autre » (Sophie Cazé).
Les gravures de Zao Wou-ki alternent entre onirisme et art abstrait. Les vases, aquarelles et encre de Chine reprennent cette liberté d’expression, où de grands étalages de couleur, sans traits distincts sont possibles. La couleur est vaporeuse et laisse une impression durable sur le spectateur, de ne pas être dans un réel, mais bien dans un monde abstrait, celui de la pensée ou du rêve.
Retour sur les encres de Chine
Les encres de chine sont pour Zao comme des « paysages mentaux » qu’il peut alors exprimer, renouant pleinement avec la tradition chinoise entre paysages et expression littéraire. Sa maîtrise de l’encre, du geste qui la dépose, lui permet d’associer des masses de très forte densité à des zones aux transparences infiniment subtiles, organisant l’espace en champs violemment contrastés. L’encre de 1975, d’un format plus important, montre ainsi la stabilité d’une composition qui puise dans une tradition millénaire mais qui repousse encore les possibilités de la représentation, laissant de grandes masses du papier en réserve. Zao Wou-Ki ne peint pas tant des motifs noirs qu’il ne donne corps au vide, créant des traces poétiques chargées de vie et de vibrations, des nuages se diluant sur le papier encore et encore, dans une respiration sans fin. (Extraits de Yan Hendgen, source Centre Pompidou)
10.03.72 En mémoire de May
Zao Wou-Ki donna ce beau tableau à l’État en mémoire de sa femme, morte prématurément. Selon la tradition chinoise, il en a réalisé plusieurs en hommage à ses amis disparus – Henri Michaux, Edgard Varèse… Depuis 1964 – est-ce dû pour une part à son séjour aux États-Unis et à sa découverte de la peinture américaine ? –, Zao Wou-Ki travaille sur des œuvres de grandes dimensions, de préférence sur des formats horizontaux qui étirent la vision, la font perdurer dans l’espace et le temps. Grâce à son long apprentissage de la calligraphie, qui allie sens de la construction et sens de l’improvisation, et à sa grande maîtrise de la peinture à l’huile, il réussit à se projeter physiquement dans la peinture, à s’y laisser absorber tout en luttant avec elle. En quelques grands mouvements du pinceau inscrivant des traces de couleur noire, traces qui apparaissent avec violence sur des fonds de lumière et d’horizons infinis, le peintre parvient ici à nous transmettre un sentiment d’inconnu où l’on ne peut distinguer le proche du lointain. Comme il le dira avec toute sa subtilité : « Je veux peindre ce qui n’est pas là comme si c’était là. » (extraits de texte écrit par Claude Schweisguth, information tirée du Centre Pompidou)
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